10- Premier de cordée
Les carriéristes, dans lentreprise comme ailleurs, dépensent au moins la moitié de leur énergie à gérer...... leur carrière, pendant que dautres - les mêmes parfois - dégraissent à tout va. Rentabilité oblige. Comme le pense ce cadre un peu blasé, ce qui est bon pour les dirigeants ne lest pas nécessairement pour leur société.
Vous êtes depuis combien de temps dans lentreprise ?
Ca va faire 27 ans en mai. Une paye vous allez dire ! Enfin maintenant je pense que jirai gentiment jusquà ma retraite.
Comment a évolué votre carrière ?
Ca ne sest pas toujours fait sans peine. Parce que lentreprise cest un peu la jungle. Les gens passent un temps fou à éliminer la concurrence. Ils protègent leurs arrières. A ce jeu-là, tous les coups sont bons ; ça va de la rumeur à la fausse alliance en passant par le dénigrement. Cest étonnant de voir à quel point des gens embarqués sur le même bateau peuvent se faire du mal.
Il y a quand même des règles ?
Bien sûr quil y en a, mais elles ne sont pas toujours très judicieuses. Lune dentre elles par exemple consiste à nous faire changer de poste tous les deux ou trois ans. On a à peine le temps dapprendre notre métier et dêtre à laise, quon nous déracine. Cest comme ça quon a le sentiment dêtre incompétent toute sa carrière. Et puis, on se demande surtout en fonction de quoi on vous attribue tel ou tel poste. Il y a une gestion de carrière occulte dont on ne comprend toujours pas très bien tous les paramètres.
Il y a des combats pour le pouvoir ?
Vous avez prononcé le mot fatidique ; le pouvoir. On ne pense quà ça. Tout le monde croit quil y a plus de pouvoir plus haut. Tout le monde se bat pour monter. Cest un peu la quête du Graal en moins pur, si vous voyez ce que je veux dire. Ce que ces croisés des temps modernes nont pas compris, notamment les plus jeunes qui ne sont pas les plus tendres, cest que plus on monte moins on a de pouvoir sur les choses. On perd en réalité, on perd en information, on perd en disponibilité. On gagne en temps de réunion, en élucubration, en négociations interminables. Franchement, les sommets ne sont pas toujours des lieux très fréquentables. En effet, alors que le reste de lentreprise est tourné vers lopérationnel, les sommets sont hantés par la politique et ses bassesses.
Vous avez évoqué les jeunes cadres, ils se comportent différemment ?
Il ny a que leur intérêt personnel qui compte. Ils ont été dressés pour diriger et ils nont pas de temps à perdre. Cest pour cela à mon avis quils passent plus de temps avec leurs supérieurs quavec leurs subordonnés. Ce sont les rois des rapports, des courbes, des explications hyper rationnelles. Mais quelque part, je crois quils ne roulent que pour eux et quils ne servent pas loyalement les intérêts de lentreprise.
Cest de leur faute ?
Pas tout à fait. Il y a le système denseignement et il y a lexemple de leurs aînés. Ils font la même chose en plus efficace, en plus stratégique, en plus marketing ! Le malheur cest que les bataillons dambitieux ne font pas toujours gagner les guerres. Et puis des chefs, cest vrai quil en faut , mais il ne faut pas que ça. Or avec le principe qui dit que pour progresser il faut grimper, ça finit par créer des engorgements au sommet. Et des engorgements aux égorgements, il ny a quun pas.
Quest-ce qui est le plus grave pour vous ?
Le dévoiement de lintelligence et de lénergie. Elles ne sont pas utilisées à bon escient. Elles ne sont pas suffisamment utilisées pour lentreprise. Et le système pousse à ce dévoiement. Il met chacun dans un tel état dinsécurité que les gens mettent plus dénergie à maîtriser leur survie, quà faciliter le développement de leur entreprise. Si les choses étaient plus claires et si la confiance régnait, on pourrait espérer voir les choses changer. On ny est pas encore.
REFLEXION
Le plus grand gaspillage est celui que nous ne voulons pas voir.