11- Les bleus au casse-pipe
Jacques, qui vient dêtre embauché il y a 6 mois, a fait le calcul. Son recrutement et sa période dintégration ont coûté à lentreprise 25 000 euros en frais directs. Tout cela a été investi sur sa personne. Sans compter ce quont coûté les trois prédécesseurs qui se sont succédés à ce poste depuis deux ans déjà. Résultat : une envie irrésistible de partir. Comment a-t-on pû en arriver là ?
Comment sest passé votre recrutement ?
Cétait un peu le marché au bestiaux. On était plus de 100 à être convoqués. Au bout dune demi-heure, la moitié était partie car le profil proposé ne correspondait pas du tout à lannonce. Ils nous ont fait passer un grand nombre de tests, dentretiens, de jeux. Tout ça, bien entendu, avec des spécialistes. Et puis après, a vraiment commencé le chemin de croix.
Vous voulez dire quoi ?
Pour les cinq finalistes il a fallu rencontrer plusieurs personnes plusieurs fois. Il a fallu attendre, sexpliquer, répéter.
Honnêtement, au bout dun moment je navais plus du tout envie dentrer. Et puis, il a fallu rappeler, retéléphoner, patienter pour avoir le responsable. On nous a dit que la réponse était imminente, puis pour la semaine suivante, puis pour plus tard. Ca donnait plutôt une impression de désordre. Et enfin, un jour, on ma annoncé que jétais recruté et quil me fallait me présenter le lendemain matin à 8 heures précises.
Et alors ?
Evidemment, la personne qui mavait donné rendez vous à huit heures est arrivée à 8h30. Quand il est arrivé, il était très pressé. Il ma installé dans un bureau et ma laissé sans consigne jusquà midi. Puis il est passé en coup de vent, ma laissé des dossiers et ma demandé den prendre connaissance. Les jours suivants, la pression étant toujours aussi forte, il ma demandé daller voir les autres services. Bien entendu, ceux-ci nayant pas été avertis mont accueilli un peu fraîchement, mais enfin ça fait partie du jeu.
Vous avez reçu une formation ?
Pas vraiment. Car je crois que rien nétait vraiment prévu pour moi. On ma livré quelques livres et très vite je me suis retrouvé dans larène. Je ne cache pas quau début il y a eu un peu de casse et honnêtement je crois avoir coûté beaucoup plus cher que mon salaire, ne serait-ce que par les erreurs commises et les perturbations que jai créées dans les services. Heureusement, au début on vous pardonne.
Ensuite, ça a évolué ?
Malheureusement non, parce que je navais pas dobjectifs. Je me suis trouvé plusieurs semaines sans mission et sans management. Cétait un peu le happening permanent. Cest alors que jai appris que déjà 3 personnes avaient été recrutées à ce poste et avaient fini par abandonner. La sélection naturelle en quelque sorte. Depuis, je me suis rendu compte quil en allait ainsi dans pratiquement tous les services. De là à penser que cest "stratégique" comme ils disent, il ny a quun pas.
Ca vous a laissé quelles impressions ?
Dabord de létonnement. Quand on voit les moyens colossaux mis en uvre pour attirer les candidats par des annonces dans tous les grands journaux nationaux, puis pour sélectionner des individus bardés de diplômes, on sattend à une intégration plus préparée. Ensuite lécurement de devoir faire le pied de grue, de devoir attendre, de rester inactif. Enfin la démotivation devant des cadres aussi peu maîtres de leur temps, devant le gâchis, devant une entreprise aussi peu soucieuse de ses nouvelles forces vives.
Vous voyez lavenir comment ?
Franchement, jaimerais vraiment trouver une autre place dans une autre entreprise. Je me sens en totale insécurité. Ce qui est paradoxal cest de voir largent qui a été investi sur moi pour en arriver à me transformer en ennemi de cette entreprise. Cest bien la peine de recruter des super diplômés pour les traiter en amateur.
REFLEXION
Ah ! les super diplômés ne sont plus ce quils étaient. Cest pour cela sans doute quon est obligé de surdimensionner les profils et de mettre davantage de moyens ?